AVANT / APRES
Transformation d’un laboratoire en habitation de luxe
”Entre les générations passées et la nôtre existe un rendez-vous mystérieux: le passé réclame une rédemption, il exige que nous répondions à cette attente
Walter BenjaminEcrits français, Thèse II de "Sur le concept d'histoire"
J’ai entrepris ce projet clé en main dès la recherche du bien à sa réalisation, avec quelques conseils ponctuels au niveau de la décoration. Cet appartement parisien a été construit en 1898 par Ferdinand Bal. Il a accueillit un laboratoire médical pendant les dernières quarante années. Lors de l’achat, le bien était en très mauvais état, mais il avait un potentiel incontestable. Pour comprendre son architecture il a fallu en premier lieu mettre ce bien dans son contexte historique.
Vers l’année 1890, un nouveau mouvement architectural s’installe en Europe : l’Art Nouveau. Ce courant romantique s’inspire des Arts & Crafts et ouvre la voie à l’Art Déco. L’Art Nouveau va baser la conception architecturale (du design du bâtiment à la décoration) sur un outil novateur, l’art.
Les trois approches de ce courant (industrie, artisanat et art), ont permis une nouvelle façon d’entreprendre l’architecture, avec la genèse d’un travail multidisciplinaire. C’est ainsi que la collaboration entre plusieurs métiers a vu le jour: architectes, ingénieurs et artisans vont aborder les projets de façon globale, de la forme et la structure à la décoration et l’aménagement.
L’habitation est considérée comme une œuvre d’art. L’accent est mis sur la libération des plans, la liaison des traversées, l’asymétrie et le dynamisme des baies. L’ornementation est mise au centre de la conception ; le travail élaboré du bois, des corniches et des mosaïques a été répandu. On parle par ailleurs de la renaissance de la mosaïque en Europe occidentale.
Lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1867, des produits et assemblages d’acier innovants sont présentés : profilés, tôles et feuillards en font partie. Issus de procédés de fabrication innovateurs, ils ont des caractéristique de résistance majeures au techniques utilisés jusque là. Le système constructif va donc évoluer grâce à ces nouvelles matières et assemblages et en 1872, la première construction avec ossature acier voit le jour. Il s’agit de l’usine de chocolat de Noisiel sur Marne. A partir de ce jour, les murs n’ont plus une fonction porteuse.
L’Art Nouveau laissera la place au style Art Déco aux alentours des années 1910.
Une fois le contexte historique de construction assimilé, le parti pris de la rénovation s’est révélé évident : épurer l’espace au maximum pour retrouver et mettre en valeur l’architecture d’origine. Par la suite il a fallu l’adapter au programme souhaité par les clients.
La deuxième phase a consisté en un relevé de l’existant et un inventaire détaillé de tous les éléments, à la recherche des typologies présentes dans l’architecture Art Nouveau. La méthodologie appliquée a été celle de la restauration de monuments. Une analyse des structures, des matériaux, des pièces, des ornements, ainsi qu’un inventaire des portes et des boiseries d’origine a été réalisé. Lors de cette analyse les facteurs de dégradation ont été signalés, afin de trouver les solutions adaptées. L’exécution de sondages sur murs, sols et faux plafonds a fait également partie de cette phase de relevés.
La deuxième phase a consisté en un minutieux relevé de l’existant et un inventaire détaillé de tous les éléments, à la recherche des typologies présentes dans l’architecture Art Nouveau. La méthodologie employée a été celle que j’avais déjà étudiée et appliquée dans la restauration de monuments (Cartagena de Indias, Colombie 1999-2001). Une analyse des structures, des matériaux, des pièces, des ornements, ainsi qu’un inventaire des portes et des boiseries d’origine a été réalisé. Lors de cette analyse les facteurs de dégradation ont été signalés, afin de trouver les solutions adaptées. L’exécution de sondages sur murs, sols et faux plafonds a fait également partie de cette phase de relevés.
Une fois le sommaire planimétrique et photographique achevé, trois types de tableaux d’analyse ont été mis en place. Le premier comportait des éléments généraux, tel que systèmes constructifs de la structure, des murs, des plafonds, des ornements, et les caractéristiques des finitions. Sur cette première fiche l’état de chaque élément a été décrit. La deuxième fiche désignait les dégradations par élément et leurs causes : physiques (humidité, érosion, corrosion, oxydation, saleté), mécaniques (effondrement, flambage, fissures, fractures) et naturelles (causés par organismes végétaux, animaux ou par causes chimiques). Et enfin, une fiche détaillée par pièces et par éléments (portes, boiseries, corniches, parquets, etcétéra) comprenait l’inventaire des éléments présents, ceux d’origine et ceux ajoutés à travers le temps, désignant également lesquels étaient à conserver, à déplacer, à restaurer ou à évacuer. Les composants d’origine ont été conservés dans la mesure du possible, parfois démontés pour réemploi. La plus part ont subi des restaurations importantes par des artisans locaux.
L’éclectisme dans ce type d’espace est pour moi le moteur clé pour réussir en même temps une mise en valeur du passé, ainsi qu’une empreinte de notre époque en y introduisant des éléments actuels. L’espace peut ainsi transcender le temps, accéder à ce stade de rédemption abordé par Walter Benjamin et donc avoir la chance d’aboutir à un avenir.
Il est primordial dans ce type de projets, de prendre le temps nécessaire pour l’analyse du contexte historique et de l’existant, en y mêlant l’étude des besoins des habitants. Cela permettra une parfaite compréhension de l’espace et de l’être humain qui va l’occuper et ouvre la voie à une réussite finale.
Lors des sondages, à la recherche des caractéristiques de l’architecture Art Nouveau, je fis d’heureuses découvertes. La première, la mosaïque en marbre de l’entrée, cachée sous plusieurs couches de linoléum collées. J’ai fait intervenir un artisan du sud de la France pour restaurer cet élément. L’entrée a retrouvé ainsi l’importance qu’elle a certainement eue au XIXème Siècle.
Encastrée dans les murs, la structure métallique caractéristique de l’époque a été repérée. J’ai souhaité la dévoiler et la mettre en valeur en démolissant les murs et en faisant intervenir une décoratrice qui a travaillé une patine sur les poteaux maintenant apparents. Le caractère de ce métal, invention révolutionnaire de l’époque, a pu être mis en évidence. Enfin, sous les faux plafonds et les revêtements muraux, corniches et boiseries ont été découverts. Ces éléments ont été également restaurés. Le parquet en point de Hongrie a été récupéré là où c’était possible. Dans les pièces où il se trouvait trop abîmé, j’ai opté par l’utilisation de nouvelles matières, notamment le béton ciré et moquettes dans deux des chambres. Ainsi les éléments de présent et du passé sont bien distincts et ne rivalisent pas entre eux. L’appartement peut maintenant être pourvu de témoignages du vécu à travers le temps.
Au niveau de l’implantation, les directrices composantes de l’époque (telles qu’exposées ci-dessus -libération des plans, articulation des traversées, asymétrie des ouvertures et jeu dynamique des baies), ont été étudiées. Ultérieurement il a été plus simple d’intégrer le programme en injectant des touches tantôt conservatrices, tantôt contemporaines. La nouvelle configuration s’est ainsi voulue à la fois ouverte et dynamique. La cuisine, le salon et la salle à manger peuvent être intégrés complètement dans la vie de tous les jours, ou devenir indépendants en les fermant par des panneaux coulissants. En ouvrant l’espace l’appartement a beaucoup gagné en luminosité, le manque de lumière naturelle étant un des points à traiter lors de la conception.
Entrée
Tel qu’exposé auparavant, dans le hall d'entrée de l'appartement le plus grand travail s’est révélé être la restauration du sol et des moulures.
La structure métallique, à l'origine dans la maçonnerie, a été dégagée. Le double séjour devient ainsi ouvert vers le hall d'entrée, permettant la lumière naturelle (assez faible dans l’ensemble) de se filtrer. Les nouveaux volumes ouverts accentuent la perception d’espaces plus amples.
Couloir
Sur cet espace de transition entre les pièces de vie et celles de nuit, un mélange de matières et de jeux de lumières a été intégré.
Au sol du béton ciré, sur le faux plafond des feuilles d'argent, sur les murs de la peinture gris foncé. Les gorges lumineuses, ainsi que l’éclairage en partie basse des murs concède à cet espace un traitement quelque peu théâtral.
Séjour
La cloison séparant la salle d'attente et les bureaux a été démontée pour créer un double séjour, les deux ambiances pouvant être indépendants via des panneaux coulissants.
Sur la partie bureau, le faux plafond a été démonté et les moulures d’origines récupérées.
Le parquet en point d'Hongrie a été restauré en entier.
Salle à Manger
Ancienne salle d'attente, mais certainement réfectoire à l’époque de la construction, la fonction de cet espace est revenue à ses origines. La salle à manger s'est créée à coté de la cuisine, également replacée dans l’aile des services des plans de l’époque. Le couloir secondaire a été supprimé permettant l’annexion de ces deux pièces. Les deux espaces peuvent être intégrés grâce à une double porte coulissante en verre noir.
Le faux plafond Art Nouveau, retrouvé sous les planches en polystyrène, étant très abîmé, n'a pas pu être restauré. Afin de ne pas imiter l’ancien, il a été recouvert par un faux plafond provisoire et démontable lors d’une prochaine intervention.
Cuisine
La cuisine a repris son emplacement. Elle avait été pendant long temps convertie en laboratoire. Les matières utilisées sont contemporaines (béton ciré, acier inoxydable, laque noire). Las structure d'origine est a été trouvée et laissée apparente.
Chambre Parentale
Un local du laboratoire a été converti en chambre parentale avec salle d’eau. Restauration des ornements au plafond, création tête de lit en maçonnerie, gorges lumineuses et placards intégrés. Le parquet étant très abîmé j’ai opté pour une moquette au sol
Chambre Filles
Deux des cabinets ont été reconvertis en chambre d’enfants.
Démontage des cloisons rajoutées pour épurement de l'espace, création d'un placard intégré sur mesure en chêne avec éclairage intérieur et d'une bibliothèque.
Chambre Garçons
Un autre local du laboratoire a également été converti en chambre d'enfants avec salle d’eau. Récupération des moulures au plafond et du parquet en point de Hongrie. Création des placards, de la tête de lit en chêne et des gorges lumineuses.
La salle d’eau a été traité comme les autres, en béton ciré gris, avec douche à l’italienne et sanitaires et robinetterie rétro.
Salles d'Eau et WC
Pour le traitement des salles d’eau, j’ai cherché un contraste évident de matériaux et de systèmes de construction. Ces espaces ont été traités sobrement afin de ne pas détourner l'attention des éléments originaux. J’ai opté pour un revêtement de sols et de murs, des douches, en béton ciré gris. Dans une des salles de bains j’ai même laissé un poteau métallique d’origine à la vue. Les robinetteries et éléments sanitaires ont été prescrits en nickel et en céramique de style rétro. Le nickel, en plus d’être un matériau ultra résistant à l’oxydation, est un petit clin d’œil à la découverte de mines de ce matériau en Nouvelle-Calédonie. Ces exploitations ont été acquises par la famille Rothschild en 1880 (époque voisine de la construction de l’immeuble), qui a ainsi commencé son exploitation
